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Bailly-Comte
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Jean Emmanuel Bailly-Comte est né à Morbier
en 1784 [C0006, p. 375 et K0009]. Les Bailly étaient déjà nombreux à
Morbier, comme les Paget aux Rousses ou les Prost à Longchaumois. Pour
éviter les homonymies trop nombreuses et permettre de distinguer les
différentes familles, les noms étaient petit-à-petit modifiés, avec
des ajouts. Pour les Bailly, on trouve ainsi à cette époque des
Bailly-Comte, Bailly-Masson, Bailly-Maître, Bailly-Salins,
Bailly-de-Bin, etc.
Le 23 novembre 1808, Jean Emmanuel épouse Marie Constance Mayet [1785 - 1845], la fille de Pierre Célestin Mayet et la sœur de Jean-Joseph Augustin Mayet, qui est le dernier de la dynastie Mayet à avoir fait de l'horlogerie d'édifice [K0009 et C0029, p. 174]. Jean Emmanuel est alors cité comme négociant en horlogerie, alors que son père, Jacques Philippe, se dit artisan horloger à Morbier [C0029, p. 182 citant l'état civil de Morbier]. |
Horloge Bailly-Comte de Morez, 1860 [E019]. |
Auparavant, en 1804, Jean Emmanuel avait créé en son entreprise de négoce. Comme les autres établisseurs de la région, il fabriquait des comtoises basées sur le travail des paysans-horlogers tout en négociant et commerçant dans plusieurs domaines de l'horlogerie et de la mécanique. Les horloges d'édifice ne représentaient donc vraisemblablement qu'une partie de ses activités. Notons que nous n'avons que des témoignages indirects de cette pluriactivité. Ainsi, en 1833, Jean Emmanuel s'associe avec Pierre Joseph Vandelle et François Xavier Girod, pour réaliser «le commerce de l'horlogerie, de la clouterie et des différents autres articles» [C0006, p. 375, citant les archives départementales du Jura, U 196, association verbale enregistrée le 1/3/1833].
Les affaires semblent bien marcher. En 1832, Jean Emmanuel acquiert 3 parcelles de terre à Morbier pour 500 francs et une terre à Morez pour 4262 francs. Pour pouvoir développer l'entreprise, Jean Emmanuel doit pouvoir utiliser une source d'énergie plus importante. Il transfert donc en 1836 son établissement à Morez, au bord de la Bienne. Á cette même époque, il associe officiellement à ses affaires son fils aîné, Émile, né en 1816 et qui est donc alors âgé de 20 ans [K0009]. Jean-Emmanuel part à Roanne pendant que son fils reste à Morez pour faire prospérer la fabrique de son père [C0033, p.74].
Dans les années 1840, les Bailly-Comte semblent de plus en plus focalisés sur les horloges d'édifice. L 'Almanach du commerce de la Franche-Comté de 1845 les mentionne comme suit : «Bailly-Comte père et fils aîné : fabrique spéciale de grosses horloges pour clochers, châteaux, pensions, usines, etc. ; ils en construisent de 40 à 50 par année. Ils fabriquent aussi des horloges dites de Comté, pendules, tournebroches, etc. [C0005 pp. 839-840]». Ces quantités, probablement surestimées, sont néanmoins très importantes pour l'époque. Avant Prost, Odobey et Cretin, l'entreprise Bailly-Comte a donc été précurseur dans le passage de l'artisanat à l'industrie en matière d'horlogerie d'édifice.
Horloge
horizontale signée « Bailly-Comte, |
Ce développement est peut-être lié au passage de l'horloge verticale à l'horloge horizontale. En effet, fin 1843, l'entreprise Bailly-Comte arrête la fabrication des horloges verticales, qui ne seront plus faites que sur commande, pour les remplacer par les horloges horizontales. Ce passage à l'horloge horizontale, dont le mouvement était encore assez différent de celui fabriqué dans le dernier tiers du XIXe siècle, peut avoir été le déclencheur d'une spécialisation de l'entreprise dans ce domaine. Il semble en effet probable que ce soit Bailly-Comte qui ait été précuseur dans cette évolution de l'horloge horizontale et qui ait mis au point la forme triangulaire des horloges, celle qui sera ensuite reprise par tous les fabricants de Morez. Pour plus de détails, voir la page consacrée à l'évolution des horloges. |
Á cette même époque, le rayonnement de
l'entreprise s'accélère. En 1844, les Bailly-Comte participent à
l'exposition universelle de Paris, où ils obtiennent une Mention
Honorable, chose remarquable pour une petite entreprise de province. De
même, ils partent à Londres en 1851 pour y décrocher une autre
Mention Honorable à l'exposition universelle [G0076, A0010]. En 1849,
ils déposent un brevet au nom de Bailly-Comte Père et Fils Aîné,
pour une machine à cheviller [J0006]. Le dynamisme des Bailly-Comte ne faiblit pas. Si les horloges d'édifice sont devenues leur activité principale, elle n'est pas exclusive, loin de là. Pour pouvoir exporter, ils s'associent en 1849 en créant une nouvelle société commerciale «Romanet, Bailly-Comte et Prost». Prévue pour durer 10 ans, la société «est formée pour faire le commerce à l'étranger et non en France, principalement l'horlogerie [C0006, p. 285]». Et en 1851, Jean Emmanuel se dit «négociant à Morez» et non pas horloger [C0029, p. 182]. Les affaires continuent donc à prospérer, ce qui permet à Jean Emmanuel d'acquérir quelques bien immobiliers supplémentaires. Ainsi, le 31 mars 1856, il achète en présence de son fils Émile, un domaine au Marais pour 4 000 francs. Étrangement, Jean-Emmanuel se dit alors «propriétaire-cultivateur» résidant au Marais. Est-ce là le témoignage d'un attachement à la terre ? Émile se dit négociant demeurant à Morez [E0048]. En 1856, Jean Emmanuel décède accidentellement à Roanne [C0029, p. 182]. Il laisse une petite fortune de 28 000 francs, essentiellement constituée de fermes et de terres [C0029, p. 182]. Son fils Émile reprend seul l'entreprise. |
Les Frères Bailly-Comte ont dans
leur usine un |
Horloge-Enseigne
fabriquée par la maison Charvet peut-être en 1852 à Lyon, placée à
l'emplacement actuel en 1864 (Rue du |
Emile Bailly-Comte 1856 - 1878Les années 1850 ou la tentation de la montre. Á cette époque, le modèle de développement de la Suisse horlogère, toute proche, fait rêver les moréziens. Afin d'étendre leur domaine d'activité, ils songent à se développer dans « l'horloge en petit », c'est-à-dire la montre. |
En 1854, une école d'horlogerie dédiée à la montre est créée à Morez. Les Bailly-Comte participent activement à son démarrage. Peu de temps après, le 15 mai 1856, les moréziens créent une société en commandite qui a pour objectif «la fabrication et la vente des montres de petite horlogerie, l'introduction et le développement de cette nouvelle branche dans le canton de Morez en attirant des ouvriers étrangers et spécialement en soutenant autant que possible l'école communale créée à cet effet dans la ville de Morez». Émile Bailly-Comte est visiblement à l'initiative de cette création puisque la société est dénommée «Émile Bailly-Comte et Cie». Sa durée est fixée à trente ans. Le capital est de 600 000 francs, soit 1 200 actions de 500 francs. Les premiers actionnaires sont les mêmes que ceux qui ont financé la création de l'école quelques années auparavant. Après avoir rassemblé 87 actions, la société est créée, avec pour objectif de fabriquer 4 000 montres par an. Mais ces projets tombent rapidement à l'eau. Faute de financement, l'école ferme en 1862. La société Bailly-Comte et Cie n'a réuni que 177 000 Francs de capital en 1860, sur les 600 000 prévus. La société est remaniée, puis transformée et finalement dissoute le 11 juillet 1863 [C0029, p. 283s, citant les Arch. dép. Jura U 198]. La production de montres continuera jusqu'au début du XXe siècle, mais de façon beaucoup moins ambitieuse que prévue.
Nous ne savons pas l'impact financier qu'auront eu ces déboires. Il est probable qu'ils n'ont pas été négligeables comme le laisse à penser l'emprunt de 10 000 francs qu'Émile Bailly-Comte contracte envers Jean Casimir Girod le 11 février 1878. Cet emprunt qui sert à rembourser une dette qu'il a envers la famille Mayet, est sur vingt ans à 4,5% par an. Il est garanti par les biens d'Émile Bailly-Comte, à savoir trois domaines à Morbier constitués d'habitations, terres, etc., une maison et un atelier à Morez, ainsi que les terrains qui vont avec. Il est mentionné dans l'acte qu'Émile possède également à Morbier un domaine constitué d'une ferme et des terres associées [E0047]. Nous voyons dans cette série de dettes l'effet probable de la mésaventure de la montre.
Ces difficultés n'empêchent pas Émile Bailly-Comte de continuer son activité principale d'horlogerie d'édifice. L'Annuaire du Jura de 1857 stipule qu'il emploie 30 ouvriers dans la fabrique d'horloges de clocher [C0029, p. 288, citant l'Annuaire du Jura de 1857, pp. 618-619]. D'autres sources donnent 20 ouvriers en 1859 [B0008] et «une vingtaine d'ouvriers vers 1860» [C0007, p. 279].
Un prospectus publicitaire de l'époque indique «Fabrique spéciale d'horloges de clochers, châteaux, couvents, etc., etc. Montres or et argent en tout genre. Horloges de Comté, Régulateurs, Pendules, Tournebroches, Cabinets» [G0076].
Pour pallier aux insuffisances et au caractère erratique du débit de la Bienne, il installe, en 1864, une machine à vapeur de deux chevaux [E0049, E0050].
Émile Bailly-Comte décède en 1878, à l'âge de 62 ans. Ses fils reprennent l'affaire [F0019].
Horloge
triangulaire Bailly-Comte [E229]. |
Horloge
triangulaire Bailly-Comte sur un document |
Dans cette dernière partie du siècle, les horloges d'édifice ne sont plus le fait d'artisans ou d'établisseurs s'appuyant sur les paysans-horlogers. La petite industrie s'est imposée avec les entreprises Prost, Cretin-L'Ange, Bailly-Comte et les deux Odobey. De toutes celles-ci, Bailly-Comte peut se targuer d'être «la plus ancienne fabrique de la région» [F0019].
Des revendeurs, tels que Hemmel ou Charvet à Lyon s'approvisionnent chez Bailly-Comte.
Nous n'avons pas d'information sur la façon dont c'est terminée cette aventure. Au début du XXe siècle, l'entreprise a disparue, sans que nous en ayons d'explication.
Un prospectus de ca. 1886 fournit une liste d'horloges installées «depuis ces dernières années seulement et où l'on peut les voir fonctionner» [F0019]. Cette liste de 340 horloges, dont 247 en France (73%) et 81 en Suisse (27%), se répartit géographiquement ainsi :
Sur la base de ces informations, nous constatons que la production Bailly-Comte est à cette époque essentiellement locale, la Franche-Comté, Rhône-Alpes et la Suisse totalisant 66% des installations, 77% en y ajoutant la Bourgogne. Le seul département du Jura représente à lui seul 40 horloges (12%).
D'autre part, un prospectus de 1887, mentionnent 114 communes «où nous avons placé des horloges publiques du 1er Janvier 1885 au 31 décembre 1886» [F0020]. La distribution géographique de ces horloges révèle un dynamisme plus important dans le quart Sud-Est de la France, par rapport à la figure précédente. Mais c'est surtout l'importance des ventes ces deux années là (57 horloges par an en moyenne) qui saute aux yeux. Même s'il est probable que cela corresponde à un pic d'activité pour l'entreprise, cela fait de la maison Bailly-Comte l'une des toutes premières fabriques d'horloges d'édifice ces années là.
Les horloges Bailly-Comte sont typiques des horloges «à mouvement triangulaire» fabriquées à Morbier et Morez. Nous retrouvons un bâti horizontal classique, des sonneries à râteau, une large platine pour le rouage du mouvement, etc. Les modèles ont évolué au cours des ans et sont souvent impossibles à distinguer des modèles Cretin. De nombreuses horloges sans inscriptions ou marques sont soit des Bailly-Comte, soit des Cretin, sans qu'il soit possible de trancher. La page ci-jointe donne cependant quelques éléments pour distinguer une horloge Bailly-Comte des horloges Prost/Paget et Odobey en particulier.
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Horloge Bailly-Comte ou Cretin L'Ange [E291], |
Horloge Bailly-Comte sur un document |
Horloge
Bailly-Comte Frères de 1885 [E330]. |
Horloge
Bailly-Comte sur un document |
Horloge
Bailly-Comte sur un document |
Dernière mise à jour de cette page : 11/12/2010