La Légende des Frères Mayet

Nous reprenons ici le récit tel qu'il nous est raconté par Eugène Lebon dans son Etudes historiques, morales et statistiques sur l'horlogerie en Franche-Comté, paru en 1860 [C0007]. Un texte manuscrit de Reverchon de 1821 décrit la même légende avec quelques différences qui sont notées lorsqu'elles nous paraissent importantes [E0013]. Cette légende est aussi reprise par Léopold Reverchon en 1923 [C0027] et par bien d'autres.

Vers l'an 1660, d'après une tradition de famille non contestée, le frère portier des Capucins de Saint-Claude, se trouvant à Morbier, se serait informé près du curé de ce village si parmi les ouvriers de la localité s'occupant de machines et d'ouvrages en fer, il n'en rencontrerait pas un capable de réparer l'horloge de son couvent, qui se trouvait dérangée ; celui-ci l'adressa aux frères Mayet (ils étaient quatre, s'occupant de travaux de serrurerie) [Note : variante de Reverchon : il n'y a au début de la légende, qu'un seul Mayet, ses frères n'étant introduits que plus tard dans le récit]. Ils voulurent voir l'horloge, qu'ils trouvèrent vieille et usée et non susceptible de réparation. Les frères Mayet en copièrent alors exactement les rouages et en firent une semblable, qui marcha parfaitement au moyen d'un ressort en spirale [Note : il est fort peu probable qu'une telle horloge ait un ressort spiral. Il s'agit plutôt d'un échappement à foliot]. On n'avait pas encore fait l'application du pendule aux horloges.

Ce succès les enhardit, et dès lors ils s'adonnèrent exclusivement à la construction des horloges. Comme à cette époque on n'avait pas perfectionné les outils propres à cet art, tout se faisait à la main et les divisions au moyen du compas ; des roues et des pignons constituaient alors tous les rouages. Ceux qui les construisaient fabriquaient eux-mêmes toutes les pièces ; aussi, dans ces temps, un pareil travail était un ouvrage de longue haleine et d'un grand prix. Ces horloges étaient massives, informes ; un simple cercle de laiton faisait l'office de cadran.

En 1675, Huyghens, astronome hollandais, fit l'application du pendule de Galilée à l'horlogerie ; mais cette découverte ne pénétra que quelques années après dans les montagnes du Jura [Note : Reverchon donne la date de 1647 pour l'invention de Huyghens et celle de 1675 pour son introduction dans le Jura. En fait, l'invention de Huyghens date de décembre 1656]. Les frères Mayet, ayant eu connaissance de ce perfectionnement, construisirent une horloge avec un pendule ; mais lorsqu'elle fut achevée, ils ne parvinrent pas à la faire marcher. Ils étaient même sur le point de la mettre au rebut, lorsqu'ils apprirent qu'un bourgeois de Genève en possédait une avec la modification apportée par Huyghens. L'un d'eux se rend aussitôt à Genève afin de l'examiner. A son retour, ses frères l'attendaient sur la porte ; dès qu'il les aperçoit, il leur crie en patois : Embréy-la, c'est-à-dire mettez en mouvement le pendule. L'impulsion donnée, l'horloge marcha parfaitement, à la grande satisfaction des frères Mayet, fort surpris de n'avoir pas songé plus tôt à faire osciller le pendule.

Bientôt après, l'un d'eux s'établit à Bellefontaine, et quelques-uns de leurs ouvriers se fixèrent à Foncine-le-Haut.

Tels furent les premiers commencements de l'industrie horlogère dans le Jura ; de là elle se propagea lentement dans les environs. Morez, aujourd'hui foyer principal de l'horlogerie dite de Comté, lui doit sa naissance.

Ce récit fondateur reprend donc le mythe de l'artisan forgeron et de l'ouvrier de génie qui devient facilement un horloger émérite. Il est de fait historiquement peu crédible. Nous retrouvons de tels récits pour d'autres horlogers, tel que Gourdin.