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Julien Le Roy
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Horloge
à cage, encore appelée verticale parce que |
Horloge
horizontale, les axes des rouages |
A cette époque, la rivalité horlogère entre la France et l'Angleterre était à son comble, les horlogers londoniens ayant une longueur d'avance sur leurs homologues français. Comme l'écrit David Landes, « les Britanniques passèrent en tête à la fin du XVIIe siècle. D'un côté, la manufacture française était souffrante en raison de l'exode de quelques-uns de ses meilleurs artisans, des protestants fuyant une vague de bigoterie et de persécution. De l'autre, non seulement ce corps de métiers, en Grande-Bretagne, était ouvert aux talents, mais une heureuse conjoncture amena une série extraordinaire d'horlogers inventifs qui servirent d'exemple au reste de la profession » [B0005, p. 309]. C'est ainsi que des artistes, comme on les appelait alors, tels que Thomas Tompion, Daniel Quare, George Graham, Thomas Mudge, John Ellicott et d'autres permirent à l'horlogerie britannique de devancer sa concurrente française en termes de finesse des montres produites, d'exactitude et d'innovation. Il en résulta une suprématie commerciale incontestable.
Est-ce à cause de cette suprématie que les horlogers britanniques délaissèrent l'horlogerie d'édifice, considérée comme moins noble ? Nous n'avons pas la réponse. Toujours est-il que pendant que les Britanniques se concentraient essentiellement sur les montres et les horloges d'intérieur, certains artistes français de haut niveau s'intéressaient également aux horloges de clocher et contribuèrent à leur perfectionnement. Nous citerons en particulier Jean-André LePaute, Ferdinand Berthoud, Robert Robin, Antide Janvier et à la fin du siècle les Wagner, qui tous apportèrent une pierre à l'horloge d'édifice !
Mais il convient de commencer par celui qui fut peut être le plus célèbre horloger français de son époque : Julien Le Roy. Né en 1686 et mort en 1759, il ne se contenta pas de concevoir les seules montres françaises capables de rivaliser avec les montres britanniques de l'époque. Pour ce qui nous intéresse ici, il conçut ce qu'il appelle « l'horloge horizontale », nouvel agencement des rouages de l'horloge d'édifice, présentant de nombreux avantages. Précisons cependant qu'il n'est pas complètement sûr, sur le plan historique, que Julien Le Roy soit l'inventeur exclusif et unique de l'horloge horizontale, même si ultérieurement la paternité de cette invention lui a clairement été attribuée. Cependant, il est clair que c'est lui qui l'a popularisée, en en publiant les détails en 1737 dans l'ouvrage d'Henry Sully intitulé Règle artificielle du temps, seconde édition, corrigée et augmentée par M. Julien Le Roy [C0002]. Dans cet ouvrage, Julien Le Roy décrit succinctement une « nouvelle manière de construire des grosses Horloges, non-seulement plus simples que celles que l’on a fait jusqu’à présent, mais encore d’un meilleur usage & à meilleur marché ». Nous reproduisons ici le texte de Julien Le Roy. Malheureusement, l'ouvrage ne comporte aucune planche, dessin ou graphisme. |
Julien
Le Roy 1686 - 1759 |
Horloge
Horizontale suivant le modèle de Le Roy. |
Pour Julien Le Roy, cette nouvelle disposition des rouages présente un nombre important d'avantages :
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Les avantages présentés par Julien Le Roy se sont révélés pour la plupart déterminants. Pourtant Julien Le Roy ne semble avoir fabriqué lui-même aucune horloge d'édifice, préférant sans doute se concentrer sur les ouvrages nécessitant une plus grande finesse. Il a cependant supervisé la construction d'un certain nombre d'entre elles, la première étant celle du « séminaire étranger ». De même en 1769, Marin Pépin, horloger à Paris, fit l'horloge du bâtiment central du château de Versailles sous la responsabilité de Julien Le Roy [C0018, p. 187]. Ce même horloger fit les horloges de St Sauveur et celle du séminaire St Sulpice, probablement en 1772 [B0008].
Horloge
horizontale, décrite dans l'ouvrage de Jean-André Le Paute |
Ferdinand
Berthoud (1727 - 1807). |
Au-delà de ces premières réalisations, la diffusion de l'invention de Julien Le Roy se fit rapidement au travers d'un certain nombre d'ouvrages de références qui parurent en l'espace d'un demi-siècle environ, reprenant, discutant, améliorant la conception initiale.
Antoine Thiout l'Aîné, dans son ouvrage de 1741, Traité de l'horlogerie mécanique et pratique, décrit la nouvelle horloge horizontale et y ajoute une planche descriptive [C0017]. C'est ce même horloger célèbre qui sera l'inventeur d'une nouvelle forme d'échappement pour horloges d'édifice. L'horloge horizontale qui est décrite par Thiout a été exécutée par M. Roussel, horloger à Paris.
Jean-André
Lepaute fait paraître un ouvrage important en 1755, réédité en 1767, Traité d'horlogerie,
dans lequel il décrit l'horloge horizontale en y adjoignant une
planche. Il y écrit : « Il n'y a pas un grand nombre d'années que l'on
s'est aperçu de l'avantage qu'il y a à placer dans un même plan horizontal
toutes les roues d'une Horloge, au lieu de les mettre les unes sur les
autres dans une cage verticale, (comme on le voit dans toutes les anciennes
Horloges) ; de cette manière on supprime la hauteur de la cage, on rend les
frottements moindres, & les engrenages plus constants & moins sujets
à varier par l'usure; on a des modèles en ce genre dans mes Horloges de la
Meûte, du Luxembourg, de Belle-vûe, des Ternes & de l'Hôtel des
Fermes &c. dont quelques-unes sont faites avec tant de soin, que le
mouvement peut marcher avec quatre onces de poids [C0014, p. 146]. » Suit
alors la description d'une horloge horizontale à quarts. Le rouage de
sonnerie des heures y est positionné à 90° par rapport aux rouages du
mouvement et de la sonnerie des quarts.
Trois ouvrages de référence paraissent donc en France
entre 1737 et 1755, qui vont tous les trois permettre la diffusion de cette
nouvelle forme d'horloge.
Diderot et d'Alembert, dans leur célèbre Encyclopédie des Sciences, des Arts et des Métiers parue de 1751 à 1780, décrivent l'horloge horizontale dans l'opuscule de 1762 dédié à l'horlogerie [C0015]. Nous reproduisons cette partie ci-joint.
Enfin, mentionnons le fameux Histoire de la mesure du temps par les horloges de Ferdinand Berthoud, paru en 1802, et qui détaille dans son premier tome le fonctionnement des horloges publiques et l'apport de Le Roy et de Le Paute [C0016]. La description de Le Paute y est reprise in extenso.
Encyclopédie
Diderot et d'Alembert |
Encyclopédie
Diderot et d'Alembert |
Toutes ces publications permirent de diffuser rapidement le modèle d'horloge horizontale. Lorsqu'en 1750, Michel-Nicolas Mauvoisin se lance dans le projet de construction de l'horloge du Beffroi d'Amiens, il se base encore sur les anciennes méthodes et l'horloge à cage. Mais un certain Ledoux, horloger de la ville d'Amiens, écrit au lieutenant de police, aux maire et échevins pour critiquer le projet et proposer d'utiliser une cage horizontale « Cette cage, écrit M. Leroux, est de M. Julien Le Roy, cet horloger si connu du public par son génie heureux, et la perfection qu'il donne à ses ouvrages. Elle est si simple, si solide, elle met les rouages de l'horloge dans une position si avantageuse, et évite tant d'inconvénients, qu'il est surprenant que tous ceux qui construisent ces sortes d'horloges n'en fassent pas usage ».
Du coup, Mauvoisin modifie ses plans et les soumet à Julien Le Roy lui-même pour approbation. Celui-ci écrit en février 1751 : « Après avoir examiné avec attention le projet ci-joint d'une horloge, et pris communication des dispositions intérieures de la tour qui doit la contenir, il m'a paru si bien formé, qu'en le suivant tel qu'il est, on en doit attendre une pleine et entière réussite. D'ailleurs, cette horloge en serait plus parfaite, si l'on en faisait les pignons en acier trempé, les roues des rouages et les traverses des cages en cuivre. A l'égard de l'échappement, il paraît que le meilleur que l'on puisse choisir, et le moins sujet à l'usure, est celui à deux verges et à rouleau, ayant sont action sur une pendule de neuf à dix pieds de longueur ».
Le projet ainsi approuvé est réalisé de 1751 à 1754. L'audit final du travail est réalisé par un certain Joseph-Joachin Bastien, en lieu et place de Julien Le Roy. Le salaire de Mauvoisin est déterminé à l'issu de cet audit [G0027].
A l'instar de Mauvoisin, la conception horizontale des horloges se répand en France petit à petit. Comme l'écrit Ferdinand Berthoud, « en plaçant toutes les roues des grandes horloges dans un même plan horizontal, au lieu de les mettre les unes au-dessus des autres dans une cage verticale, ainsi qu'on l'avait pratiqué dans les anciennes horloges, M. Le Roy avait déjà procuré par ce changement un degré de perfection. Aussi, dans toutes les horloges de clocher faites depuis cette époque, on a adopté cette position horizontale [C0016, p. 233] ». |
Progression
des types d'horloges de 1700 à 1880. |
La conception originale de Le Roy évoluera cependant encore significativement jusqu'au début du XIXe siècle avec l'introduction de l'horloge horizontale || || à rouages dans le même cadre (voir la suite de ce dossier). Dans le second tiers du XIXe siècle, pratiquement tous les horlogers de France ont adopté le nouveau modèle d'horloge. La dernière horloge à cage que nous connaissons date de 1848 [E001], les horlogers de Morez et Morbier effectuant la transition vers les horloges horizontales dans les années 1840. Ainsi Bailly-Comte dit ne plus faire d'horloge verticale que sur commande à partir de la fin 1843 [G0078].
Notons que la forme horizontale évoluera à son tour de multiples façons, donnant lieu à des formes d'horloges modulaires, à mouvement triangulaire, avec des platines plus ou moins importantes, etc. Julien Le Roy aurait probablement eu du mal à reconnaître ses idées d'origine dans les variantes fabriquées à la fin du XIXe siècle. Pourtant et pour autant que nous nous limitons au cas de la France, nous considérons qu'elles sont toutes plus ou moins des descendantes de l'horloge horizontale.
Dans le reste de l'Europe et en Amérique du Nord, la nouvelle forme d'horloge s'impose également, avec un décalage par rapport à la France. En Espagne, paraît en 1789 un manuel de Zerella e Ycoaga intitulé Tratado General y matemático de reloxería, dans lequel est décrite cette nouvelle forme d'horloge [C0031].
Aux États-Unis, où l'influence anglaise et allemande était prédominante pour ce qui concernent les horloges d'édifice, les premières horloges horizontales sont le fait d'un précurseur, Abel Stowell, installé dans le Massachussetts, qui choisit cette forme d'horloge dès 1799. Cette première horloge avait un cadre en bois, les rouages côte à côte ( || || ) et un échappement à chevilles. D'autres fabricants suivirent Stowell au début du XIXe siècle, tels que Simon Willard, Gardner Packer, James Rigdway, George Holbrook et Thomas Woolson, puis d'autres encore qui finalement imposèrent l'horloge horizontale, avec de multiples variantes, dans le second tiers du siècle [C0035, p. 34].
Le Royaume-Uni sera plus tardif dans l'adoption de la forme horizontale, probablement du fait de la rivalité horlogère ancestrale qui l'oppose à la France. Cependant, en 1854, Edward Dennison, qui deviendra plus tard Lord Grimthorpe, consacre la forme horizontale en l'adoptant pour l'horloge de Westminster, plus connue sous le nom de Big Ben (voir http://homepages.tesco.net/~chris.mckay/bigben.html). A partir de cette période, la référence outre-manche devient également l'horloge horizontale. Cependant, de nombreux fabricants dérivèrent des formes d'horloges hybrides qui sont finalement assez éloignées de la forme horizontale d'origine.
Horloge
Horizontale à trois rouages (sonnant les heures et les quarts). |
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Dernière mise à jour de cette page : 11/12/2010